Le
Statut des juifs selon Léon Bérard
ou l'accablant
rapport de Léon Bérard
Mauvais canular ? non, l’authenticité de ce rapport de Léon Bérard
nous était confirmée, dès le 13 septembre 2001, par la LICRA ( Ligue
Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme).
L'indulgent biographe de Léon
Bérard, Le combat politique d’un avocat béarnais » [1988 -
J & D Editons ; Biarritz] cite les références du rapport :
Archives Nationales WIII 297
(Haute Cour) et in. "Le Procès de Xavier Vallat"
Présentation du
rapport dans Le Monde juif d'octobre 1946
Le
rapport est reproduit in extenso dans Le Monde juif d'octobre
1946, simplement précédé d'une introduction de la rédaction (en italique).
Le
2 septembre 1941, M. Léon Bérard, ambassadeur de France près du Saint-Siège,
envoyait de la Cité du Vatican au Chef de l'Etat Français le rapport
ci-dessous.
Parmi
les documents qui porteront témoignage sur une époque qui sans jamais cesser
d'être tragique, fut souvent d'une sinistre bouffonnerie, celui-ci ne manque
pas de relief. Il situe à la fois son auteur et le régime qui, fondé sur
l'iniquité, s'inquiète pourtant de l'écho
que ses pratiques trouvent devant l'Instance Suprême - celle dont il désire
et espère l'absolution sinon la collaboration.
Si l'on tient compte de la date à laquelle ils
furent élaborés - septembre 1941 - alors que déjà la machine infernale du
racisme fonctionnait à plein rendement, les arguties et les sophismes de
l'ambassadeur dialecticien deviennent carrément vomitifs.
Quelques extraits de ce rapport pour le lecteur pressé :
« Monsieur
le Maréchal,
Par votre lettre du 7 août
1941, vous m'avez fait l'honneur de me demander certains renseignements touchant
les questions et les difficultés que pouvaient soulever, du point de vue
catholique romain, les mesures que votre Gouvernement a prises à l'égard des
Juifs… »
« ...
L'Eglise a donc condamné le racisme comme elle a condamné le
communisme. De ses enseignements touchant les idées racistes on ne saurait
pourtant déduire, il s'en faut de beaucoup, qu'elle condamne nécessairement
toute mesure particulière prise par tel ou tel Etat contre ce que l'on appelle
la race juive. Sa pensée comporte, là-dessus, des distinctions et des
nuances qu'il convient de noter... »
« …Nous
savons par l'histoire générale que l'Eglise a souvent protégé les
juifs contre la violence et l'injustice de leurs persécuteurs et qu'en même
temps elle les a relégués dans les ghettos… »
« …[selon]
Saint Thomas d'Aquin, …Il serait déraisonnable de leur laisser [les
juifs], dans un Etat chrétien, exercer le gouvernement et réduire
par là à leur autorité les catholiques. D'où il résulte qu'il est légitime
de leur interdire l'accès des fonctions publiques; légitime également de ne
les admettre que dans une proportion déterminée dans les Universités (numerus
clausus) et dans les professions libérales… »
« …
[selon] Ernest Renan… si les juifs
avaient connu tant d'épreuves au cours de leur histoire, cela tenait à ce que,
dans tous les pays où ils se sont établis, ils ont réclamé le bénéfice
du droit commun et quelques privilèges particuliers, de surcroît... »
« …
Il reste que la loi du 2 juin 1941 a pour point de départ une définition
juridique du Juif où le législateur se réfère expressément à la notion de
« race ». Encore est-il à noter que si l'on rapproche cette loi du 2 juin de
celle du 3 octobre qu'elle a abrogée et remplacée, on constate que le texte
nouveau a réduit la place et la part, faite là à l'idée de « race ».
Si un Juif prouve qu'il a adhéré, avant le 25 juin 1940, à la confession
catholique ou à la confession calviniste ou luthérienne, il cesse d'être «
regardé comme Juif », pourvu, en outre, qu'il n'ait pas plus de deux
grands-parents de race juive. En ce cas, la loi attache donc des effets
juridiques à la « conversion ». Il demeure qu'un israélite, fût-il dûment
converti et baptisé, sera considéré comme juif, s'il est issu d'au moins
trois grands-parents de race juive, c'est-à-dire ayant appartenu à la religion
judaïque. Là il faut le reconnaître, il y a contradiction entre la loi française
et la doctrine de l'Eglise… »
« Je
viens de signaler le point unique où la loi du 2 juin 1941 se trouve en
opposition avec un principe professé par l'Eglise romaine. Il ne s'ensuit point
du tout de cette divergence doctrinale que l'Etat français soit menacé, je ne
dis pas d'une contestation comme celle qui a surgi entre le Saint-Siège et le
gouvernement fasciste, mais même d'une censure ou d'une désapprobation que le
Saint-Siège viendrait à exprimer sous une forme ou sous une autre à propos du
statut des Juifs… »
« …
Comme quelqu'un d'autorisé me l'a dit au Vatican, il ne nous sera intenté
nulle querelle pour le statut des Juifs… »
« …
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Maréchal, l'hommage de mon profond respect
et de mon fidèle attachement.
Léon BERARD. »
Le rapport dans son intégralité :
Monsieur le Maréchal,
Par
votre lettre du 7 août 1941, vous m'avez fait l'honneur de me demander certains
renseignements touchant les questions et les difficultés que pouvaient
soulever, du point de vue catholique romain, les mesures que votre Gouvernement
a prises à l'égard des Juifs. J'ai eu l'honneur de vous adresser une première
réponse où je constatais que jamais il ne m'avait été rien dit au Vatican
qui supposât, de la part du Saint-Siège, une critique ou une désapprobation
des actes législatifs et réglementaires dont il s'agit. Maintenant, je puis
affirmer, en outre, qu'il n'apparaît point que l'autorité pontificale se soit
à aucun moment occupée ni préoccupée de cette partie de la politique française
et qu'aucune plainte ou requête venue de France ne lui en a, jusqu'à présent,donné
l'occasion.
J'ajoutais,
dans ma précédente lettre, qu'il me faudrait quelque temps, en raison des
habitudes romaines, pour réunir les éléments d'une réponse fondée et complète.
Je n'ai encore pu me procurer les textes organisant le statut des Juifs dans
l'Etat fasciste, ce qui s'explique aisément quand on sait que nous n'avons ici
aucune relation directe avec les autorités italiennes. J'espère recevoir un de
ces prochains jours ces documents. Mais je me trouve dès à présent en mesure
de traiter le sujet principal qui m'est indiqué par votre lettre du 7 août: la
position du Saint-Siège devant le problème juif avec examen des contradictions
ou divergences qui pourraient se constater entre les enseignements de l'Eglise
sur cette question et la législation fasciste d'une part, la législation française
de l'autre.
La
matière est complexe. Pour donner à mon exposé autant de clarté et de précision
qu'il me sera possible, je vous demanderai, Monsieur le Maréchal, la permission
d'y marquer par des rubriques et des paragraphes l'ordre que je crois utile de
suivre et les divers points sur lesquels a porté mon enquête. Je n'y
affirmerai rien qui n'ait été par moi vérifié auprès de représentants très
autorisés du Gouvernement de l'Eglise.
A.- L'EGLISE ET
LE RACISME
Il
y a une opposition foncière, irréductible, entre la doctrine de l'Eglise et
les théories «racistes». L'Eglise, par définition universelle, professe
l'unité du genre humain.
Un
même rédempteur est mort pour tous les hommes ; l'Evangile s'adresse et
sera annoncé à «toute créature». Tout être humain a une âme immortelle,
assistée de la même grâce et appelée au même salut que celle de tous ses
semblables. C'est par-là qu'il se trouve constitué en dignité ; là est
le fondement de ses droits, dont ses devoirs sont la mesure. Toutes ces
propositions demeurent incompatibles avec une conception qui fait dériver de la
conformation du crâne et de la qualité du sang et les aptitudes et la vocation
des peuples, leur religion même, pour établir finalement une hiérarchie des
races, au sommet de laquelle apparaît une race pure ou royale que l'on nomme «aryenne».
Dans
son Encyclique Mit Brennender Sorge du 14 mars 1937 sur le
national-socialisme et la situation du catholicisme en Allemagne, Pie XI écrit:
«Quiconque prend la race, ou le peuple, ou l'Etat, ou la forme de l'Etat, ou
les dépositaires du Pouvoir, ou toute autre valeur fondamentale de la communauté
humaine - toutes choses qui tiennent dans l'ordre terrestre une place nécessaire
et honorable - quiconque prend ces notions pour les retirer de cette échelle de
valeurs, même religieuses, et les divinise pour un culte idolâtrique, celui-là
est loin de la vraie foi en Dieu et d'une conception de la vie répondant à
cette foi.»
Le29
juillet 1938, dans une allocution adressée aux élèves du Séminaire de la
Propagande, ce même Pape disait: «On oublie que le genre humain, tout le genre
humain, est une seule et grande race universelle humaine. On ne peut toutefois
nier que dans cette famille universelle il y ait place pour les races spéciales,
pour des nationalités encore plus spécialisées : c'est comme dans les
grandes compositions musicales comprenant de grandes variations où cependant
l'on retrouve le même motif général, le leitmotiv qui domine et inspire toute
la pièce. De même dans le genre humain...»
Par
décret du 13 avril 1938, la Congrégation pontificale des Etudes, Séminaires
et Université a dénoncé comme contraires à la foi un certain nombre de
propositions racistes, dont les suivantes: «... 5. La religion est soumise à
la loi de la race et doit lui être adaptée. - 6. La source première et la règle
suprême de tout ordre juridique est l'instinct racial».
L'Eglise
a donc condamné le racisme comme elle a condamné le communisme.
De
ses enseignements touchant les idées racistes on ne saurait pourtant déduire,
il s'en faut de beaucoup, qu'elle condamne nécessairement toute mesure
particulière prise par tel ou tel Etat contre ce que l'on appelle la race
juive. Sa pensée comporte, là-dessus, des distinctions et des nuances qu'il
convient de noter. Le sujet doit être traité distinctement.
B.- L'EGLISE, LE
PROBLEME JUIF ET L'ANTISEMITISME
On
chercherait vainement à extraire du droit canonique, de la théologie, des
actes pontificaux, un ensemble de préceptes qui ressemblât à une législation
sur le judaïsme et la religion judaïque. On n'y trouverait même pas
facilement, en telle matière, un corps de doctrine aux contours bien arrêtés.
Le
principe qui apparaît d'abord, et comme le plus certain, c'est qu'aux yeux de
l'Eglise, un juif qui a reçu valablement le baptême, cesse d'être juif, pour
se confondre dans le «troupeau du Christ». Toutefois, il ne faudrait pas se hâter
d'en conclure que, pour l'Eglise, la religion soit la seule chose qui distingue
Israël au milieu des nations. Elle ne considère pas du tout que les juifs
constituent une simple «famille spirituelle», comme celles que composent chez
nous, par exemple, les catholiques et les chrétiens «réformés». Elle
reconnaît que parmi les traits distinctifs de la communauté israélite, il
entre des particularités, non pas raciales, mais ethniques. C'est ce qu'elle a
depuis longtemps discerné, et toujours elle en a tenu compte.
Nous
savons par l'histoire générale que l'Eglise a souvent protégé les juifs
contre la violence et l'injustice de leurs persécuteurs et qu'en même temps
elle les a relégués dans les ghettos. Un de ses plus grands docteurs, Saint
Thomas d'Aquin, a laissé des enseignements qui rendent compte de cette
attitude. Il a traité incidemment, mais en termes fort nets du problème juif
dans la Somme Théologique, Question 10 de la II a II ae, Art. 9, 10,
11et 12. Voici un résumé de sa doctrine: Il faut se montrer tolérant envers
les juifs quant à l'exercice de leur religion ; qu'ils soient à l'abri
des contraintes religieuses ; que l'on ne baptise pas leurs enfants par
force, sans le consentement des parents. D'autre part, tout en proscrivant tout
politique d'oppression envers les juifs, Saint-Thomas n'en recommande pas moins
de prendre, à leur égard, des mesures propres à limiter leur action dans la
société et à restreindre leur influence. Il serait déraisonnable de leur
laisser, dans un Etat chrétien, exercer le gouvernement et réduire par-là à
leur autorité les catholiques. D'où il résulte qu'il est légitime de leur
interdire l'accès des fonctions publiques ; légitime également de ne les
admettre que dans une proportion déterminée dans les Universités (numerus
clausus) et dans les professions libérales.
En
fait, cette pratique a été très strictement suivie au Moyen Age. Un concile
du Latran prescrit à cette fin que les juifs se distinguent des chrétiens
par une particularité de leur habillement.
Ernest
Renan s'est peut-être montré bon thomiste et fidèle à ses cahiers de
Saint-Sulpice lorsqu'il a dit quelque part, que si les juifs avaient connu tant
d'épreuves au cours de leur histoire, cela tenait à ce que, dans tous les pays
où ils se sont établis, ils ont réclamé le bénéfice du droit commun et
quelques privilèges particuliers, de surcroît...
Il
nous serait dès à présent possible, à l'aide des données qui précèdent,
d'apprécier si le statut des juifs promulgué par l'Etat français, s'oppose ou
non - et en quels points il s'opposerait - aux principes catholiques. Mais ce
rapprochement et cette appréciation nous seront beaucoup plus aisés lorsque
nous saurons quel accueil a été fait par le Saint Siège aux dispositions arrêtées,
il y a trois ans environ, par l'Etat fasciste à l'égard des juifs.
C.-
DIFFICULTES ENTRE LE SAINT-SIEGE ET L'ITALIE A PROPOS DE LA LEGISLATION FASCISTE
SUR LES JUIFS
Non
seulement les mesures adoptées par le gouvernement fasciste n'ont été précédées
d'aucune négociation ni d'aucune entente entre le Saint-Siège et lui, mais
elles ont donné lieu à de graves critiques de la part de l'autorité
pontificale. Il importe fort de déterminer avec précision la nature et l'objet
de cette divergence.
Comme
il est dit au commencement de cette lettre, je ne suis pas encore en possession
de textes législatifs italiens. Mais les explications les plus claires m'ont été
données au Vatican quant au point capital dont je vais avoir ici à faire état.
La
loi fasciste sur les juifs contient des dispositions qui touchent aux règles
juridiques de l'union conjugale. Elle prohibe, en de certaines conditions, le
mariage entre sujets italiens «aryens» et des personnes de race
juive,eussent-elles adhéré à la religion catholique. L'Eglise, elle, considère
comme parfaitement valable non seulement les unions entre catholiques et juifs
convertis et baptisés, mais aussi les unions, canoniquement célébrées devant
un prêtre, entre catholiques et juifs non convertis, pourvu, en ce deuxième
cas, qu'il ait été obtenu de l'autorité ecclésiastique une permission appelée
«dispense». L'innovation ainsi introduite dans la législation italienne eût
motivé, de soi, la désapprobation du pouvoir pontifical. Celui-ci estime,selon
une de ses traditions les plus anciennes et les plus fermes, que le mariage est
essentiellement un sacrement, par-là même chose de l'ordre spirituel au
premier chef et qu'en conséquence c'est d'après la loi religieuse catholique
que doit se régler tout ce qui se rapporte à la formation et à la validité
du lien matrimonial.
Mais
il y avait une autre raison, et plus décisive pratiquement pour que la nouvelle
loi fasciste rencontrât un accueil défavorable au Vatican. En statuant comme
il l'avait fait sur les mariages entre aryens et non aryens, l'Etat fasciste
manquait au Concordat conclu entre le Saint Siège et l'Italie, le 11 février1929.
L'article 34 de cette Convention dispose «L'Etat italien, voulant redonner à
l'institution du mariage, qui est la base de la famille, une dignité conforme
aux traditions catholiques de son peuple, reconnaît au sacrement de mariage, réglé
par le droit canonique, les effets civils». C'est-à-dire que le Droit italien
attache désormais au mariage célébré devant un prêtre - au sacrement de
mariage selon la seule loi religieuse - tous les effets juridiques que le Droit
français reconnaît exclusivement depuis la Révolution de 1789,au mariage célébré
devant l'officier de l'Etat-civil compétent. L'article 34contient, en outre,
les dispositions suivantes, fort dignes de remarque : «...Aussitôt après
la célébration du mariage, le curé expliquera aux époux les effets civils du
mariage, en donnant la lecture des articles du Code Civil sur les droits et les
devoirs des Époux. Il rédigera l'acte du mariage, dont il transmettra dans les
cinq jours copie intégrale à la commune, afin qu'il soit transcrit sur les
registres de l'Etat Civil. Les causes concernant la nullité du mariage et la
dispense du mariage ratifié et, non consommé sont réservées à la compétence
des tribunaux et dicastères ecclésiastiques... Quant aux causes de séparation
de corps, le Saint-Siège consent à ce qu'elles soient jugées par l'autorité
judiciaire civile».
Il
est bien clair qu'en adhérant à ce contrat, qui porte la signature de
M.Mussolini, l'Etat italien renonçait à la sécularisation du mariage. Il
acceptait, quant aux unions célébrées religieusement (les mariages purement
civils étant une exception) que les formes et les conditions de validité de
l'union, les empêchements, les dispenses, fussent régis par le Droit canonique
et que l'autorité ecclésiastique fût juge de ces cas litigieux. En créant
dans le statut des juifs des empêchements de mariage que l'Eglise n'admet pas
et qui s'appliqueraient à des unions contractées à titre de «sacrement» il
revenait sur ses accords contractuels avec le Saint Siège.
Pie
XI fit entendre un avertissement assez rude dans l'allocution citée plus haut.
«On se demande, dit-il, pourquoi l'Italie a cru devoir, par une malheureuse
imitation, suivre l'exemple de l'Allemagne». Ce qui provoqua une vive réplique
de M. Mussolini, protestant qu'il était insensé de prétendre que le fascisme
ait jamais imité quelqu'un. Puis, l'autorité italienne a interdit aux
officiers municipaux d'enregistrer des actes de mariages transmis, selon le
Concordat, par des curés qui avaient canoniquement présidé à des unions
entre «aryens» et «non aryens». Il y a eu une douzaine de cas par an. Sur
quoi le Saint Siège a élevé, auprès du gouvernement italien, par voie de
note diplomatique, une protestation en forme. Celle-ci se fondait
essentiellement sur la violation du Concordat.
Nous
n'avons à redouter aucun différend de ce genre puisque la loi française sur
les juifs ne présente aucune disposition comparable à celle qui a été cause
des difficultés survenues entre l'autorité pontificale et le gouvernement
italien.
D.-
QUELLES CONTRADICTIONS PEUT-ON APERCEVOIR ENTRE LA DOCTRINE CATHOLIQUE ET LA LOI
FRANÇAISE DU 2 JUIN 1941 PORTANT STATUT DES JUIFS ?
Pour
plus de simplicité et de clarté, il convient, je crois, de prendre d'abord
cette loi dans son objet même et sa portée pratique, soit dans celles de ses
dispositions qui portent interdictions, inhibitions et défenses a l'égard des
juifs. A moins qu'ils ne se trouvent dans le cas de pouvoir réclamer le bénéfice
des dérogations prévues au texte, les Juifs sont exclus d'un grand nombre de
fonctions publiques. D'autre part, l'exercice de certaines professions
limitativement énumérées leur est interdit ; et ils ne seront admis dans
certaines autres professions que suivant des proportions et limites à déterminer
par décret.
En
principe, il n'y a rien dans ces mesures qui puisse donner prise a la
critique,au point de vue du Saint-Siège. Celui-ci considère qu'en portant de
telles règles,un Etat use légitimement de son pouvoir et que la puissance
spirituelle n'a pas à s'ingérer, en telle matière, dans la police intérieure
des Etats. D'ailleurs, l'Eglise n'a. jamais professé que les mêmes droits
devaient être accordes ou reconnus à tous les Citoyens. Elle n'a point cessé
d'enseigner la dignité et le respect de la personne humaine. Mais elle n'entend
pas ces choses, on peut en être sûr, de la même façon, rigoureusement, que
les héritiers spirituels de Rousseau et de Condorcet. Il suffirait, pour en
juger, de se rappeler, tout ce qui oppose le dogme du péché originel à ceux
que nous ont légués ces philosophes: bonté naturelle de l'homme, progrès indéfini
de l'esprit humain, conception individualiste du droit et de l'organisation
sociale et politique.
Il
reste que la loi du 2 juin 1941 a pour point de départ une définition
juridique du Juif où le législateur se réfère expressément à la notion de«race».
Encore est-il à noter que si l'on rapproche cette loi du 2 juin de celle du 3
octobre qu'elle a abrogée et remplacée, on constate que le texte nouveau a réduit
la place et la part, faite là à l'idée de «race». Si un Juif prouve qu'il a
adhéré, avant le 25 juin 1940, à la confession catholique ou à la confession
calviniste ou luthérienne, il cesse d'être «regardé comme Juif», pourvu, en
outre, qu'il n'ait pas plus de deux grands-parents de race juive. En ce cas, la
loi attache donc des effets juridiques à la «conversion». Il demeure qu'un
israélite, fût-il dûment converti et baptisé, sera considéré comme juif,
s'il est issu d'au moins trois grands-parents de race juive, c'est-à-dire ayant
appartenu a la religion judaïque.
Là
il faut le reconnaître, il y a contradiction entre la loi française et la
doctrine de l'Eglise.
E.- PORTEE PRATIQUE DE CETTE CONTRADICTION. - CONCLUSION.
Je
viens de signaler le point unique où la loi du 2 juin 1941 se trouve en
opposition avec un principe professé par l'Eglise romaine. Il ne s'ensuit point
du tout de cette divergence doctrinale que l'Etat français soit menacé, je ne
dis pas d'une contestation comme celle qui a surgi entre le Saint-Siège et le
gouvernement fasciste, mais même d'une censure ou d'une désapprobation que le
Saint-Siège viendrait à exprimer sous une forme ou sous une autre à propos du
statut des Juifs. On relèverait aisément dans l'ensemble de notre législation,comme
dans celle de beaucoup d'autres Etats, et par exemple dans notre législation
napoléonienne encore en vigueur, bien des dispositions que l'Eglise ne peut
approuver. Et la règle qui veut qu'un Juif baptisé ne soit pas toujours considéré
comme un catholique pur et simple n'est peut-être pas celle qui heurte le plus
gravement la théologie. L'Eglise n'a point cessé d'admettre et de pratiquer
une distinction essentielle, pleine de sagesse et de raison: distinction entre
la thèse et l'hypothèse, la thèse où le principe est invariablement affirmé
et maintenu, l'hypothèse où s'organisent les arrangements de la pratique.
Comme
quelqu'un d'autorisé me l'a dit au Vatican, il ne nous sera intenté nulle
querelle pour le statut des Juifs. Un double vœu cependant m'a été exprimé
par les représentants du Saint-Siège, avec le désir visible qu'ils fussent
soumis au Chef de l'Etat français:
1.)Qu'il
ne soit ajouté à la loi sur les Juifs aucune disposition touchant au mariage.
Là, nous irions au-devant de difficultés d'ordre religieux. On s'est fort ému,
au Vatican, de ce que la Roumanie a adopté, sur ce point capital,des règles de
droit inspirées ou imitées de la législation fasciste.
2.)Qu'il
soit tenu compte, dans l'application de la loi, des préceptes de la justice et
de la charité. Mes interlocuteurs m'ont paru viser surtout la liquidation des
affaires où des Juifs possèdent des intérêts.
Veuillez
m'excuser, Monsieur le Maréchal, de vous avoir si longuement écrit. J'ai obéi
au souci de vous mettre en possession de renseignements aussi clairs et aussi
complets qu'il me sera possible sur les divers points que vous avez bien voulu
m'indiquer. Dès que j'aurai reçu le texte des lois italiennes, je me mettrai
en mesure de compléter cette documentation.
Je
vous prie d'agréer, Monsieur le Maréchal, l'hommage de mon profond respect et
de mon fidèle attachement.
Léon
BERARD.
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