Le Statut des juifs selon les historiens

 

« Mais c'est au début de l'automne [1940] qu'est franchi le pas décisif dans la politique d'exclusion avec un train de trois mesures capitales. En premier lieu, le Statut des Juifs, promulgué le 3 octobre. Le lendemain 4 octobre, une autre loi autorise l'internement des ressortissants étrangers de « race juive » dans des « camps spéciaux » et accorde aux préfets le droit de les assigner à résidence. Enfin le 7 octobre est abrogé le décret Crémieux du 24 octobre 1870 accordant la citoyenneté française aux Juifs indigènes d'Algérie.

En vertu du texte du Statut, les citoyens français juifs sont exclus de la fonction publique, de l'armée, de l'enseignement, de la presse et de la radio, du théâtre et du cinéma, cependant que les Juifs « en surnombre » seront éliminés des professions libérales. Bref, il s'agit, en dépit d'exceptions prévues - en faveur des anciens combattants notamment - de rejeter les Français juifs hors de la communauté nationale. Innovation significative par rapport à la législation de l'Allemagne nazie : les Juifs se voient définis par des critères raciaux et non plus religieux, puisque est déclarée juive « toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif ». Non moins instructif sur l'antisémitisme vichyssois est l'exposé des motifs précédant la loi. Pour justifier les mesures prises, on allègue l'influence « insinuante et finalement décomposante » des Juifs, les « effets fâcheux de leur activité au cours des années récentes » durant lesquelles ils ont eu une part prépondérante dans la direction des affaires du pays, la nécessité de leur ôter les « fonctions d'autorité, de gestion, de formation des intelligences » qu'ils exerçaient « dans une tendance individualiste jusqu'à l'anarchie » et de les y remplacer par des « forces françaises dont une longue hérédité a fixé les caractéristiques ».

Le 2 juin 1941, un deuxième Statut vient se substituer à celui d'octobre 1940, aggravant encore les conditions faites aux Juifs : la définition par la race s'y trouve mâtinée de définition par la religion; le demi-Juif est considéré comme juif si son conjoint est demi-juif - et non plus juif ; la liste des fonctions publiques et privées interdites aux Juifs est considérablement allongée, tandis qu'est prévu un système de numerus clausus en vue de limiter le nombre des étudiants juifs dans les universités et l'accès aux professions libérales. Par ailleurs, une autre loi du même jour prescrit un recensement des Juifs dans toute la France métropolitaine et dans les colonies (en décembre 1941, 140 000 Juifs auront été dénombrés en zone non occupée).

Pour avoir une idée de l'effet des deux Statuts sur le service de l`État, on peut calculer le nombre des fonctionnaires exclus. Ce sont les militaires, de l'armée de terre, de l'air et de la marine, qui arrivent en tête avec un total de 1284, puis vient l'Éducation nationale avec 1 111 professeurs chassés de l'enseignement (426 en zone occupée, 685 en zone non occupée), suivis par les fonctionnaires des PTT (au nombre de 545). Suivent les Finances, avec un chiffre de 169, les autres ministères (Intérieur, Affaires étrangères, Justice, Travail...) comptant chacun de 20 à 60 exclus. Au total, ce sont 3 422 fonctionnaires (753 en zone occupée, 2 669 en zone non occupée), sur un effectif global de 750 000, que l'État français a démis ignominieusement.

Point essentiel à souligner : toute cette politique antisémite résulte de l'initiative propre de Vichy. A l'époque, et plus encore par la suite, on a voulu croire - et faire croire - que ces mesures discriminatoires avaient été prises sous la pression du vainqueur, voire dictées par lui. Tous les travaux historiques faisant autorité ont, depuis un quart de siècle, balayé cette légende, et aujourd'hui la cause est entendue. »

« Autre face sordide de la persécution vichyssoise : la France des barbelés. Avec la loi du 4 octobre 1940 autorisant l'internement des Juifs étrangers, quelle que soit leur nationalité, les préfets sont investis de pouvoirs discrétionnaires. Aussi le réseau des « camps de la honte » s'étend-il et se peuple-t-il rapidement. Un premier groupe de camps d'internement datait des derniers temps de la IIIe République : créés pour y rassembler les « étrangers indésirables » en cas de conflit, ces camps de fortune avaient servi d'abord à abriter les républicains espagnols et les volontaires des brigades internationales, puis, à partir de la drôle de guerre, les ressortissants ennemis. Au moment de l'armistice, parmi les 8 000 internés civils allemands et autrichiens - souvent antifascistes -, on compte 5000 Juifs. À partir de l'automne, les chiffres gonflent pour atteindre leur maximum en février 1941 avec près de 50 000 internés, dont 40000 Juifs, puis vient le reflux, car un grand nombre de détenus ont été embrigadés dans les Compagnies de travailleurs étrangers, si bien qu'en 1942 il n'y aura plus que 10 000 Juifs sur un total de 15 000 étrangers et les grandes rafles de l'été feront chuter l'effectif de moitié. À Gurs, le plus célèbre et le plus grand des camps, sont passées de 1939 à 1945  60 000 personnes, hommes, femmes, enfants, vieillards, dont plus d'un millier sont mortes. »

Cf. François et Renée Bédarida, La France des années noires, tome 2, Editions du Seuil, 2000, p. 158-161.

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