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Bérard et le camp de Gurs  

 

L’origine du camp de Gurs

C’est au lendemain de la chute de Barcelone du 26 janvier 1939 que le gouvernement français ouvre sa frontière catalane à l’exode  de près d’un demi-million de « rouges » accueillis avec méfiance et inquiétude par les populations locales. Dans un premier temps, les pauvres hères s’entassent dans des camps aménagés à la va-vite sur les plages du Roussillon. Puis l’administration française décide d’ouvrir six grands sites dispersés dans les départements frontaliers de l’Espagne. C’est ainsi que les Basques seront dirigés dans un camp situé « près d’Oloron ».

Bérard, Ybarnegaray, Tixier-Vignancour et les tractations autour du camp de Gurs

Pourquoi en Béarn et non pas en Pays basque ? Pour l’historien Claude Laharie « des considérations d'ordre politique et électoral expliquent l'essentiel d'un tel choix. En 1939, les députés des trois circonscriptions basques sont des hommes de droite. Parmi eux, le leader incontesté est Jean Ybarnegaray, député de Mauléon. Forte personnalité, il est le seul candidat du département à avoir été élu dès le premier tour aux législatives de 1936. Orateur brillant et farouche partisan des nationalistes pendant la guerre civile, il déploie une grande activité au cours des derniers jours de février. Il rencontre Léon Bérard, sénateur et président du Conseil général, qui joue un rôle important dans les affaires franco-espagnoles, depuis que Daladier l'a officieusement chargé d'entreprendre des négociations, afin de faciliter la reconnaissance par la France du gouvernement du général Franco. Ybarnegaray obtient également une entrevue avec le préfet Surchamp. Il n'est pas interdit de penser que le député basque développe alors, auprès de ses interlocuteurs, des arguments expliquant que la cohabitation de Basques espagnols, "rouges" et turbulents, avec les Basques français, traditionnellement hostiles à la gauche, serait une source de désordre dans une région jusque là paisible. »(Claude Laharie. p. 23, 24)

Ogeu-les-Bains, près d’Oloron, est dans un premier temps retenue mais devant la levée de boucliers d’élus locaux, l’administration décide finalement, le 15 mars 1939, d’installer le camp sur la lande de Gurs. « La nouvelle provoque un vif soulagement chez les uns et une nouvelle tempête de protestations chez les autres. Jean-Louis Tixier-Vignancour, le jeune député d'Orthez, est scandalisé que sa circonscription ait été choisie pour "un tel cadeau" ; il déclare avec éloquence que ces réfugiés constituent "toute une armée non seulement de l'anarchie, mais du crime international". Il se console néanmoins en remarquant que, si le camp est construit sur "son" territoire électoral, il dépendra administrativement de la sous-préfecture d'Oloron, et non de celle d'Orthez, et économiquement de la vallée du Gave d'Oloron. »(C.L. p. 25)

Un camp pour prisonniers destiné à être provisoire

Le camp de Gurs  « édifié en quarante-deux jours, du 15 mars au 25 avril 1939… [comporte] 382 baraques toutes construites sur le même modèle… [et est ceint d’une] double rangée de barbelés » (C.L. p. 35, 42)

En effet, « les Gursiens ne [devront] pas être considérés comme des réfugiés susceptibles de bénéficier du droit d’asile, mais comme des prisonniers… il y a là beaucoup plus qu’une nuance. La population des baraques, qui revendique[ra] le statut de réfugié, ne l’a jamais soupçonné » (C.L. p. 30)

 

Les principaux moments de l'histoire du camp d'internement

 avril-août 1939 : les réfugiés venant d’Espagne

« Le mercredi 5 avril 1939, arrivent au camp les premiers réfugiés, 980 Basques espagnols, conduits immédiatement à l'îlot A. Ils viennent de "Guernicaberry", le "village basque" du camp d'Argelès… Les 6, 7 et 8 avril, de nouveaux convois déversent dans les trois premiers îlots, proches de l'entrée principale, leur flot de réfugiés, 2 745 Espagnols, tous basques ou perçus comme tels (parmi eux, se sont glissés quelques Galiciens)… » (C.L. p. 75, 76)

« Avec la déclaration de guerre s'achève la première partie de l'histoire du camp. Le bilan de ces cinq mois tient en quelques mots : 17 730 Espagnols et 6 808 "Internationaux", soit 24 540 combattants républicains "hébergés" dans les baraques gursiennes. » (C.L. p. 119)

septembre 1939-octobre 1940 ; des « anciens d’Espagne » aux « indésirables »

·    Les réfugiés d’Espagne (sept. 39 – mai 40) : « 2 820 hommes sont … conduits dans les baraques… il s’agit essentiellement d’Espagnols arrêtés dans les départements aquitains.. » (C.L. p. 127)

·    Les « indésirables » du 1er mai au 23 oct. 40 : « 9 771 femmes en provenance du Vel d’Hiv… et enfants… trois quarts des Allemandes…les plus nombreuses, sont Juives ou apatrides.. / 3 695 Espagnols, anciens combattants de l’Armée républicaine…émigrés politiques basques… / 1 329 Français en détention préventive…l’essentiel… des hommes de gauche, syndicalistes, socialistes, anarchistes et surtout communistes… » (C.L. p. 122, 138, 140, 143)

« A Gurs, pendant ce temps, tout s'est dégradé, à commencer par les baraques que la pluie et le froid rongent inexorablement… A l'origine, on avait "accueilli" les réfugiés. A la fin du printemps 1940, on "héberge les indésirables". A l'automne, après la promulgation du statut des Juifs (3 octobre 1940), on "interne les Israélites". Imperceptiblement, sans à-coup, Gurs devient en Béarn le symbole même de l'arbitraire. Bientôt viendra le temps où, de renoncement en renoncement, les Juifs seront livrés aux nazis.

Ces treize mois, du début de la guerre aux premiers internements purement raciaux, constituent sans doute le moment décisif de l'histoire du camp…C'est le stade intermédiaire entre deux situations, le passage de l'internement, qui n'ose se présenter comme tel, à la répression ouverte. Il s'est effectué en silence : la presse n'en a pas parlé, la radio n'en a rien dit. » (C.L. p. 122)

Léon Bérard, sénateur et président du Conseil général des Basses-Pyrénées, pour sa part, n’en pensait pas moins. Au mois d’octobre 1940, il est nommé par Vichy ambassadeur auprès du St Siège.

La phase antisémite (octobre 1940 - novembre 1943)

« Depuis l'armistice, la France est coupée en deux par la ligne de démarcation. La nouvelle frontière passe au milieu du département des Basses-Pyrénées…Gurs, situé dans la zone non-occupée, à une vingtaine de kilomètres des postes frontières de Sauveterre-de-Béarn, Salies-de-Béarn et Orthez, relève de la seule compétence du gouvernement de Vichy et des services préfectoraux de Pau... C'est au cours du mois d'octobre 1940 que le racisme de Vichy s’affirme ouvertement et que l'essentiel de la législation antisémite est promulgué. Moment décisif où s'enclenche le mécanisme qui conduira par la suite, de complicités en compromissions, à livrer aux nazis les hommes destinés à périr dans les camps de la mort. Le 3 octobre, est adopté le Statut des Juifs qui écarte les Juifs de la fonction publique, de la presse, etc…

Ainsi non seulement le centre béarnais n'est pas fermé, mais figure en bonne place dans le système carcéral vichyssois. Tout est prêt désormais pour que le piège fonctionne. Il ne manque que les victimes.

A Gurs, elles arrivent à la fin du mois, du 24 au 31 octobre, puis, sans discontinuer, pendant trois ans. Au total, 18 185 personnes (21 794 si l'on inclut ceux qui étaient déjà internés le 24 octobre). Presque tous sont enfermés pour des raisons spécifiquement raciales. Presque tous ont connu en Béarn une des ultimes étapes de leur vie. » (C.L. p. 165,166,167)

« Pour 3 500 hommes et femmes environ, Gurs a été l'étape transitoire vers la liberté. C'est le cas de la plupart de ceux qui ont eu la chance d'émigrer vers les Etats-Unis, de ceux qui ont été libérés, de ceux 'qui se sont évadés et ont rejoint l'Espagne ou les maquis de la région. Pour 3 000 hommes environ, Gurs a été au contraire l'étape transitoire vers le travail forcé dans les chantiers Todt, à l'intérieur desquels se sont finalement fondues toutes les compagnies de travailleurs étrangers. Pour 1 038 hommes et femmes, Gurs a été l'étape ultime de leur existence. Ils reposent au cimetière du camp, restauré en 1962 grâce à une subvention des municipalités de Mannheim, d'où 2 335 résidents avaient été expulsés, de Karlsruhe, d'où 1 380 personnes avaient été chassées le 22 octobre 1940, et du Consistoire des Israélites du pays de Bade. Pour tous les autres, soit plus de 14 000 hommes, femmes et enfants, Gurs a été l'étape directe ou indirecte vers Drancy et les camps d'extermination nazis. Directe pour les 3 907 déportés embarqués dans les six convois partis d'Oloron les 6, 8, 24 août, 1er septembre 1942, 27 février et 3 mars 1943. Indirecte pour les transférés à Noé, Le Récébédou, Le Vernet, Rivesaltes ou Nexon, pour presque tous les mutés des centres d'accueil, pour les hospitalisés et pour ceux qui, depuis un centre d'émigration, n'ont pu réussir à s'embarquer vers les Etats-Unis.  

On relèvera que les quatre premiers "convois" (2 212 hommes et femmes) sont partis d'Oloron pour l'extermination avant le 11 novembre 1942. Cette date est importante car elle est celle de l'occupation de la "zone libre" par les Allemands. Ces quatre "convois" surveillés par les "gardes noirs" (la gendarmerie nationale) sont donc partis de la zone relevant de Vichy, d'un lieu représenté par le sénateur et président du Conseil général, Léon Bérard. En a-t-il été affecté ? Le 1er janvier 1943, alors que la fiction d'une "France libre" conduite par Pétain a volé en éclats, il réaffirme, dans un discours à Rome, sa fidélité au Maréchal (P. Arette Lendresse, p. 121).

Gurs pose donc à l'évidence, en des termes proprement français, le problème de "la solution finale de la question juive". (C.L. p. 247) [surligné par nous]

Dès qu'un chef de gouvernement français [Laval] déclare que "la France est devenue un peu comme le dépotoir du monde et de l'Europe", que "la France est trop malade pour supporter chez elle tant d'éléments étrangers", n'est-il pas en quelque sorte logique de qualifier tous ces étrangers d' "indésirables", puis de les livrer aux bourreaux nazis ? Entre le régime de Vichy et le système hitlérien, il y a de ce point de vue plus qu'une simple collaboration: il y a complicité objective. C'est la signification de la phrase que Maurice Vanino prête à Hitler : "Au lieu de faire la police avec nos soldats, nous la faisons avec les policiers et les gendarmes de Pétain. C'est une économie appréciable". (C.L. p. 247)

Gurs pose donc à l’évidence les responsabilités de Léon Bérard, sénateur des Basses-Pyrénées, président du Conseil général des Basses-Pyrénées, avocat devant le Vatican de l’ignominieux « Statut des juifs » et témoin manifeste de "la solution finale".

Avril-août 1944 : les derniers jours du camp vichyssois

« Dissous le 1er novembre 1943, le camp de Gurs n’en est pas pour autant fermé… [mais] le plus grand laisser-aller règne à tous les niveaux…au soir du 5 juin, 202 personnes se trouvent réunies à Gurs : 36 nomades français, 15 passagers clandestins de la frontière espagnole et les 151 « Brensoises » [151 détenues transférées du camp de Brens – Tarn]…tout est laissé à vau-l’eau à Gurs… ». (C.L. p. 249, 252, 253)

Le 22 août, le Béarn est libéré.

 Sept. 1944 – déc. 1945 Les internés de la libération

« Fin août 1944, le camp sert d'un côté de site d'internement pour les trafiquants du marché noir et les "petits" collabos. D’un autre côté il sert de lieu de captivité pour un groupe de prisonniers de guerre allemands.
Le 31 décembre 1945, le camp est définitivement fermé.

En 1946, les baraques encore utilisables sont vendues aux enchères et toutes les autres brûlées par mesure d'hygiène.

Une forêt est ensuite plantée, rejetant l'histoire du camp dans l'oubli. »

Extrait du site de « l’Amicale du camp de Gurs » : http://perso.wanadoo.fr/campgurs.39-44/

 

Le jardin secret de Bérard : le camp de Gurs

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