Bérard et le gouvernement du général Franco

 

Janvier 1939

Depuis deux ans et demi, l’Espagne est plongée dans une guerre civile atroce qui oppose les forces du gouvernement républicain issu des élections du 18 février 1936 aux nationalistes dirigés par le général Franco. Le camp républicain est soutenu par une URSS bien lointaine et les volontaires des « Brigades internationales ». Londres et Paris, dans l’espoir d’éviter une guerre générale, ont adopté une politique de « non-intervention » que ne respectent pas l’Allemagne hitlérienne et l’Italie mussolinienne qui apportent leur soutien diplomatique et militaire au camp phalangiste.

La guerre est entrée est entrée dans sa phase finale au profit des forces nationalistes. La bataille de l’Ebre s’est achevée en novembre 1938 par une défaite républicaine. La campagne de Catalogne commencée le 23 décembre consacre l’effondrement républicain avec la chute de Barcelone le 26 janvier 1936 et le gouvernement républicain doit se déplacer toujours plus au nord précédé de l’exode de centaines de milliers de réfugiés.

La France doit répondre à deux problèmes. Celui des réfugiés : elle mettra en place des camps. Et celui de ses relations avec le très probable vainqueur, Franco.

A l’initiative d’Hitler, l’Europe est engagée dans une marche à la guerre. Après l’annexion de l’Autriche, le 12 mars 1938, l’Angleterre et la France ont capitulé sur la scène internationale, lors de la conférence de Munich du 30 septembre 1938, devant les exigences d’Hitler qui annexe les Sudètes. Par rapport à l’Espagne, la France se trouve donc devant un choix stratégique : ou venir en aide d’une façon plus résolue aux républicains ou reconnaître le gouvernement rebelle du général Franco pour obtenir sa neutralité lors d’un conflit avec l’Allemagne  et l’Italie. C’est cette dernière orientation qui est retenue par le ministre des affaires étrangères, Georges Bonnet, et le gouvernement d’Edouard Daladier. Il reste à trouver un négociateur.

La mission diplomatique de Léon Bérard auprès de Franco

Pourquoi le choix se porte-t-il sur Léon Bérard ? Explications de son biographe, P. Arette Lendresse :

« En pensant à Léon Bérard, G. Bonnet opérait un choix judicieux. Certes il était républicain, mais le régime espagnol était discrédité à ses yeux par l'alliance avec les communistes ; il était libéral, mais aussi catholique. La presse vaticane ne précisait-elle pas que les nationalistes et les "rouges" ne pouvaient être mis sur un même pied d'égalité ; qu'il fallait distinguer le bien du mal.

"Notre bénédiction, dit le Pape, s'adresse d'une manière spéciale à tous ceux qui ont assumé la difficile et périlleuse tâche de défendre et de restaurer les droits et l'honneur de Dieu et de la religion, c'est-à-dire, les droits et la dignité des consciences".

L'ancien diplomate Quinones de Léon confirme à Bonnet que Léon Bérard sera agréé par Franco "qui connaissait bien les sentiments libéraux de ce ferme républicain, mais qu'il considérait comme un ami sûr de l'Espagne" ». (P. A. L. p. 111)

Une première série d’entretiens a lieu, les 4 et 6 février 1939, à Burgos, avec le général Jordana, ministre des affaires étrangères de Franco.

L. Bérard affiche, à son retour, une relative satisfaction : « je suis venu ici avec une mission assez vaste, mais simplement officieuse. J’ai eu plaisir à entrer en contact avec le Général Jordana et je me félicite du tour de notre conversation comme de l’accueil que l’on a bien voulu me réserver partout en Espagne nationaliste » (Le Patriote des Basses-Pyrénées / 7 février 1939). (P. A. L. p. 189)

Pour l’historien Hugh Thomas, « le gouvernement français envoya à Burgos le sénateur Bérard pour négocier une reprise des relations diplomatiques. Il fut reçu assez froidement. Jordana exigeait avant toute chose la reconnaissance de jure du gouvernement nationaliste, la restitution des navires républicains réfugiés dans les eaux françaises, et celle des trésors d'art et de l'argent qui se trouvaient en France. Les Nationalistes refusaient de participer à l'entretien des réfugiés espagnols ou de donner leur accord au gouvernement français pour qu'il récupérât ses dépenses sur les avoirs espagnols qu'il détenait. » (H.T. p. 676)

P. Arette Lendresse développe l’importance du second voyage à Burgos de Léon Bérard. De nouveaux entretiens avec Jordana du 18 au 24 février aboutissent à la signature de « trois documents qui consacraient l'accord complet des vues de l'Espagne nationaliste et de la France, pour la reprise de relations normales…. C'est donc le 28 février que l'Angleterre et la France annoncèrent publiquement la reconnaissance de Franco. Le 2 mars, Philippe Pétain fut nommé ambassadeur à Burgos… En reconnaissant Franco deux semaines après la chute de la Catalogne, Daladier et Chamberlain signaient l'arrêt de mort de la République espagnole… Toutefois, ces engagements permirent de n'avoir pas à surveiller la frontière des Pyrénées entre 1939 et 1940… Après la débâcle, de nombreux ressortissants français purent sauver leur vie en passant en Espagne. Enfin, lorsque les troupes allemandes parvinrent à Hendaye, Franco, respectant l'engagement pris avec Pétain, refusa d'ouvrir ses frontières à leur passage vers l'Afrique du Nord, ruinant ainsi le plan d'invasion "Félix" élaboré par les stratèges d'Hitler. A son rang et à son tour, Léon Bérard avait défendu la République française. » (P. A. L. p. 115, 116, 117 et 118). Et aussi l’Espagne de Franco aurait pu souligner l’indulgent biographe.

Hugh Thomas, pour sa part, considère que « le gouvernement français donnait satisfaction aux Nationalistes sur tous les points…. En échange de quoi, les Nationalistes acceptaient simplement de recevoir un ambassadeur de France à Burgos. Il rappelle que, dans l’enceinte de la Chambre des communes britannique, la reconnaissance de Franco par le gouvernement de Chamberlain a été vivement condamnée par le travailliste Attlee :

« Nous considérons cet acte - conclut-il - comme une lourde trahison envers la démocratie, comme l'achèvement de deux ans et demi d'un simulacre hypocrite de non-intervention et de complaisance continuelle à l'égard de l'agression. Et cela n'est qu'un pas de plus dans la marche descendante du gouvernement de Sa Majesté, où, à chaque palier, les intérêts permanents du pays ne sont pas même bradés, mais donnés. Ce gouvernement ne fait rien pour édifier la paix ou arrêter la guerre, mais se borne à faire savoir au monde entier que celui qui a l'intention de recourir à la force peut toujours compter qu'il trouvera un ami en la personne du Premier ministre britannique. » (H.T. p. 685, 686)

La fin de la guerre civile d’Espagne est officiellement proclamée par le général Franco le 1er avril 1939. Quatre jours après, arrivent au camp de Gurs, en Béarn, les premiers réfugiés républicains, des Basques.

Bérard a participé à la mise à mort de la République espagnole

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